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Judiary
14 février 2015

H-S : Dear Jellyfish

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Jamais plus je ne retournerais à Rennes. J'ai quittée le royaume, et je m'exile bien loin demain matin. J'y laisse tous mes souvenirs de gosse trop vite mûri et d'adolescente paumée dans le monde des grands. Tu appartiens à ces souvenirs toi aussi, c'est bien triste. Je te laisse à ce monde, d'ici quelques jours tu ne seras plus qu'un souvenir d'enfant.

Place de la République où convergent les pensées en descendant du bus avant de prendre le suivant. Place sainte Anne défigurée, cimetière de Dubon à creuser bas, plus bas dans la terre. C'était un grand immeuble. Et derrière l'église de Anne, l'école toujours intacte renferme les souvenirs de gosse en son sein cadenassé. C'est l'ambition qui a déshabillé cette ville de ses parures d'histoire, et c'est cette même ambition qui me poussa à la quitter des années plus tôt.
J'y ai vécu des moments bien heureux. Au milieu des deux escaliers du métro. Rien que cette phrase me replonge dans mes souvenirs puérils. Quand je t'attendais, le cœur au garde à vous, au milieu des filles aux cheveux lisses. Elles qui attendaient leurs hommes se cachaient dans les coins, s’adossaient aux cloisons peinturlurées avec le désir visible de s'y enfoncer, tandis que je me tenais droite comme un piquet, à l'exact milieu du point A au point B, des deux escaliers menant au métro. Seule, il m'est souvent arriver de courir pour l'attraper, mais jamais aussi vite que quand tu étais en haut des escaliers à m'attendre, à en réinventer mon endurance, à en perdre mon souffle et ma politesse devant tes parents.

Le premier jour, j'avais fredonnée une chanson dans le bus. C'était une drôle de chanson avec une fée je crois, une chanson qui donne envie de pleurer. Je jouais d'une main avec des bouts d’aluminium restés au fond de mes poches, et de l'autre je tenais la tienne, celle d'une méduse sortant à peine de son bocal. Au moins trois fois par semaine, là où les passants trépassaient, on parlait et on riait comme des enfants, du caramel coincé entre les dents.

Il du y en avoir, des regards, dans ce bus nous emmenant au cinéma, à la boulangerie, à une boutique de livre, chez toi ou à la grand place, mais voilà une des règles tacites du bus des grandes villes : ce qui est dans le bus reste dans le bus, et les milliers de secrets murmurés en son sein ne seraient jamais répétés par les inconnus silencieux. Je lisais et chantais les discours de paix, tu dessinais le monde vu du tien, on écrivait pour sensibiliser et faire réagir. Et on refaisait le monde, on s'inspirait mutuellement. Finalement, avec le temps, je finis par croire que cet amour et cette tendresse, c'est dans les bus de Rennes qu'il est resté, lui aussi.

Si tu savais le nombre de chansons que j'ai écrites sur le chemin du retour, éblouie sous les grandes lumières dorées. Il y avait les grincements de mon vélo dans la nuit, et l'air de clavier du vieil homme dans l'allée commerçante. Toujours, je souriais béatement en descendant de mon vélo, pour donner une pièce à cet homme qui avait toujours le bonheur aux lèvres, lui aussi. Je composais ensuite mes paroles un peu naïves sur les airs qu'il m'inspirait. Quand je fredonnais Imagine, les soirs de batailles nationales, en marchant dans les rues noires, le chemin me paraissait toujours bien moins long. Je pensais à toi quand tu riais à mes blagues stupides, ou quand tu t’inquiétais tant pour les problèmes du bout du monde. C'est méchant de penser ça mais je te trouvais simplement adorable en ces moments. Je n'étais qu'une enfant qui s'inquiétait bien de la misère du monde, il faut le dire, seulement de très loin.

Finalement, j'ai essayée, mais je ne sais plus ni quand ni pourquoi nous nous sommes quittées. Sûrement d'un commun accord, peut-être enlevées par des pensées d'adultes, abandonnées par notre syndrome de Peter Pan. Peut-être étions-nous devenues des grandes personnes, reniant leurs désirs d'enfants pour des choses de grands. Alors nous nous étions reléguées le rôle d'une petite amoureuse de l'école en passant à autre chose.

Je n'ai pas grandie d'un centimètre. Je resterais toujours la dernière, la plus petite de la classe. Les étoiles étaient toujours les larmes de la lune, j'avais toujours du caramel coincé entre les dents. Tandis que les autres grandissaient, poussaient et s’allongeaient vers le ciel, qu'ils mûrissaient, que la barbe leur poussait au menton, on m'enfilait des vestes toujours plus grande et plus longue. Et quand moi aussi je levais les bras vers le soleil, les manches de mon costard retombaient vers le sable. J'avais déjà trente ans, et des affiches dans tout Paris promouvaient mes livres et mes pensées. J'étais devenue un paradoxe.

Depuis quelques temps, je te retrouvais dans les conférences, les mêmes salles de spectacle dans la même capitale. Seuls quelques mètres nous séparaient. J'avais bien répondue aux exigences que je m'étais crée. J'avais du succès et on m'appréciait, on parlait de moi dans les magazine. Je n'avais plus à me soucier d'argent ou de santé, et je pouvais exaucer tous mes caprices d'enfants. Quand je tombais, on m'aidait à me relever, je n'avais même pas à réfléchir à ce triste avenir de la France et de tout le reste. J'avais mon monde bien à moi et tu avais le tien, impénétrable. Les règles ont été respectés, la tendresse du bus était restée dans le bus, mais quelque part, j'aurais voulue qu'il en soit autrement.

Je t'ai revue parfois. Tu avais toujours les cheveux roses et deux piercing sous la lèvre. Tu n'avais pas grandie, toi non plus, mais tu t'étais faite à ce monde. Je t'imaginais vivre les mêmes journées que moi, te lever à la même heure, voir les mêmes responsables de salles, les mêmes journalistes, confronter les mêmes réalités, devoir expliquer le processus de création et la venue de l'inspiration étape par étape. Toute la magie était partie. Mais en voyant que le costard t’allait comme un gant, je réalisais que tu avais toujours été adulte, que tu n'avais plus besoin de grandir. Alors je détournais les yeux, je regardais le bout de mes chaussures vernies en pensant à la lune qui rigolait à l'époque. Le soir venu, je partais précipitamment pour courir le long de la Seine, essayant d'écrire une nouvelle chanson, de retrouver la lune riante dans les cieux noirs. Mais ça faisait bien longtemps que la nouvelle lune ne souriait plus pour moi, et le peu de vers que je trouvaient étaient emplis de tristesse, encore une fois. J'avais la sensation d'être là où il ne le fallait pas, dans un pays des merveilles devenu cauchemar morbide. Je pensais à toi, qui étais là dans mon conte de fée, et que je ne retrouverais pas. Tout devenait flou comme une vieille photo, trouble comme l'eau de la Seine. Tu n'aurais pas voulue être dans cette capitale, voyais-tu les choses comme moi ?

Alors j'ai essayée d'être grande. J'ai essayée de rajuster mon costard. J'ai essayée de refaire du vélo. J'ai essayée de chanter des chansons gaies. J'ai essayée de comprendre les jours de pluies. J'ai essayée de fumer du pétrole pour me donner un air frais et dans le vent. J'ai essayée.

Qu'est-ce qu'on a fait demain ? Je suis partie, et c'est la réalité qui m'attend. Vers les Amériques ou là où je pourrais retrouver une place, un décor pour devenir adulte, enfin. C'était un matin froid mais ensoleillé, baigné dans la lumière de l'hiver. Je partais sans prévenir personne, je croyais en moi. Je pourrais m'en sortir, seule. Il le faudrait, pour devenir adulte. Pas forcément quelqu'un, juste vivante. Je voulais avoir le droit de renaître avant de mourir. Je ne te reverrais pas. Quelque part, j'essayais de dire adieu à ces souvenirs qui me hantaient. Je ne pouvais même pas te dire au revoir. Je me penchais contre la rembarre du bateau, face à la mer, les yeux noyés dans le bleu. Perdues dans le vague, je vis la neige tomber lentement, et je te revoyais danser dessous. J'essayais d'ouvrir la bouche pour en avaler, et je réussissais. Je riais. Pourquoi tant vouloir devenir une grande personne ? C'est bien moins amusant. En bas, je vis des méduses flotter près de la surfaces, dansant sous la neige. Alors c'était bel et bien fini. Je chantais une drôle de chanson d'enfant aux paroles maladroites sur un air idiot, tout en voyant les côtes bretonnes s'éloigner.

Elle a des lèvres roseu,

Touteu parfumées.

Elle a un tout petit nez,

Et des yeux marrons glacés.

Elle a les cheveux roseu

Jusqu'au booout des pointes.

Elle a un gloss parfumé,

À la fraise ou au bubblegum.

À la fraise ou au bubblegum.

À la fraise ou au bubblegum.

Comme tous les gosses, j'associais odeurs et goûts à des situations, des émotions. Le goût sucré des dragibus m'avaient toujours rappelé ces après-midi au lycée où j'en cachais dans ma trousse. L'amertume salées des larmes de rages m'évoquaient quelques nuits sans étoiles. Enfin, le parfum de ton gloss parfumé m'évoquait la tendresse et la sérénité.
C'était sûrement la pire chanson que j'avais pu écrire, mais elle me remémorait ce parfum inconnu que je peinais à identifier. De fraise ou de bubblegum.


Je t'aime.

 

[Playlist Musicale:

http://www.youtube.com/playlist?list=PLsi59SN0adF1OQh3o1_7ggZKiQgcfksmE ]





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Commentaires
Judiary
  • Mon roman Lilanim, posté au rythme d'un chapitre par semaine, le jeudi à 20H30, avec des illustrations de ma main. Quand j'ai le temps! Nouveau adresse de www.revedemay.canalblog.com Bonne lecture à tous!
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