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Judiary
5 février 2015

Aoi Hana - Chapitre 3

En cours, rien ne changea, une nouvelle fois. Lola me faisait découvrir ses multiples regards,

ses multiples visages. Je n'avais plus besoin de la convoquer le soir, elle participait au cours,

parvenant à enflammer des débats sur Verlaine. La jeune fille ne parlait plus tellement à ses

anciennes amies, ne faisait plus d’œillades au garçon à la casquette. Je la voyais même, par la

fenêtre, s'adresser au premier de la classe, le garçon timide et renfermé par nature, me rendant

presque jalouse. Elle se maquillait moins, révélant la véritable teinte de ses yeux, un brun proche du

noir. Je remarquais qu'elle était en réalité plus petite que moi, et elle m'offrit l'exclusivité de la vue

sur sa douce poitrine.

Les mardis et vendredis soir, Lola s'introduisait tranquillement dans mon appartement pour

s'adonner à la danse de nos corps entrelacés. Parfois, elle attendait la nuit, aux alentours de vingt-

deux heures. Souvent, elle était déjà là quand je rentrais, s'introduisant je ne sais comment. Ma fille

chocolat avait encore bien des secrets pour moi, qu'elle semblait décidée à garder pour elle. Ses

baisers se firent plus réguliers, plus tendres et à la fois plus décidés, moins hésitants. Le regard de

défi qui illuminait son regard, elle le réservait pour ces soirs où seule sa lumière brillait dans

l'obscurité. Quand nous étions l'une contre l'autre, je la laissais faire, mais je ne pus bientôt plus me

soustraire à rester immobile. J'étais toujours perdue dans ces moments, et je n'osais prendre

d'initiative. De légères caresses suffisaient à la jeune fille. Le corps jeune de Lola me semblait bien

trop fragile, quand tous ses muscles se tendaient au bord de la jouissance, un souffle aurait pu la

briser en deux. Nous nous endormions l'une tout contre l'autre, serrées comme nous le pouvions

dans le lit de mon minuscule studio. Lola partait souvent très tôt, et je regrettais que de me réveiller

seule le matin, sans la chaleur de son corps contre mon sein. Dans ces moments-là, je redevenais la

triste prof sans intérêt, maussade, avalant ses pâtes sans un bruit.



Ces soirées ne me suffirent bientôt plus. Lola, je ne savais toujours rien de toi. Nos discussions

7étaient toujours aussi insignifiantes, et tu partais trop tôt pour que je puisse te retenir. Je ne vivais

plus que pour ces mardis, ces vendredis, mais tu étais toujours trop loin de moi. Un matin, je vins à

ta rencontre, à la fin du cours :

« Lola, attends ici une seconde. »

Interloquée, elle dit à son nouvel ami, Quentin, le fameux premier de classe, de ne pas l'attendre.

Une fois la classe entièrement vide, la jeune fille s'approcha d'un coup, saisissant mes mains dans

les siennes, et murmura en arborant ce regard plissé :

« Tu veux le faire ici ? Je ne te savais pas aussi perverse... »

Lentement mais fermement, je repoussai mon amante pour lui répondre.

« Non, je ne t'appelle pas pour ça. J'aimerais parler d'un sujet sérieux. »

Ma fille chocolat prit une mine déconfite.

« J'aimerais prendre rendez-vous avec tes parents.

-Pour quoi faire ? »

Le ton qu'elle prenait inspirait la crainte. J'avais sans doute dû prendre un air trop sévère.

Doucement, je repris mon souffle dans une profonde inspiration et lui souris : « Rien de grave.

Simple curiosité de ma part, j'aimerais leur parler. Tu n'y vois pas d’inconvénient ?

-Euh... Non, aucun. »



Son regard disait le contraire. Une nouvelle fois, Lola me déconcertait par son occasionnelle

fragilité. Je me doutais qu'il y aurait forcément quelque chose qui cloche avec sa famille, pour qu'on

puisse laisser une adolescente de quinze ans dormir chez n'importe qui deux fois par semaine. Je ne

savais rien de ma fille chocolat, et je commençais à m'inquiéter sur son sort.

Il fut convenu que je vienne dîner chez les parents de mon élève un vendredi soir, en usant

comme prétexte des félicitations pour l'amélioration fulgurante de ses résultats. Je partis donc du

lycée avec Lola, qui restait étrangement silencieuse jusqu'à ce que je lui ouvre la portière de la

voiture. Durant le trajet, elle me guida et je finis par trouver la maison de ses parents. Je m'attendais

à tout. Notre lycée était public, plutôt situé dans un quartier à problèmes, aussi je m'imaginai plutôt

un HLM délabré. Nous nous retrouvâmes pourtant devant une luxueuse maison de banlieue. Ma

fille chocolat assise sur le siège passager perçut mon étonnement et posa sa main sur la mienne,

avant de m'embrasser tendrement. Un baiser amoureux, plutôt inhabituel de sa part. Le goût sucré

de ses lèvres chaudes s'estompa rapidement. Sans lâcher ma main, on sortait de la voiture et nous

nous dirigeâmes vers la porte éclairée. Je surpris mon cœur à battre la chamade quand Lola lâcha

ma main pour ouvrir la porte. Comme si elle le retenait d'exploser. Cela s'imposait comme une

évidence qui avait déjà vaincu. Comme une adolescente à ses tout-débuts. J'aimais pour la première

fois.



« Ah, madame, nous vous attendions ! Entrez, entrez, je vous en prie. »



Le père de Lola était petit, avec un léger embonpoint ; tout ficelé dans son costume. Je ne regrettai

pas d'être venue en tailleur de travail. La mère de ma fille chocolat était semblable à son mari, avec

la barbe de trois jours en moins. Mais un détail me chiffonna : ils étaient blancs. J'en fis une

conclusion bien simple : elle avait été adoptée.



Le dîner se passa tranquillement. On ne s'éternisa pas en apéritif. Les plats, sans être

réellement gastronomiques, étaient raffinés, et on voyait qu'on y avait passé du temps. La mère de

Lola ne tarit pas d'éloges à propos de sa fille durant tout le dîner. Elle déclamait que sa fille était

merveilleuse, en tout point, et son potentiel ne demandait qu'à être découvert, mais ne lui adressa

pas le moindre regard. Son mari acquiesçait en silence. Je restais bouche bée à confirmer ce que

disait la bonne femme, sidérée par ce que je voyais. Du coin de l’œil, je ne lâchais pas Lola, qui

8restait concentrée sur son assiette, ne relevant la tête que pour soupirer. Arrivée au fromage, je me

retirai un instant, prétextant un besoin pressant. L’atmosphère de la pièce et la grosse voix de la

mère de Lola m'exaspéraient. J'avais besoin de me rafraîchir.



***



Lola m'attendait au bout du couloir, juste en haut des escaliers. Le regard tourné vers ses

pieds, je ne l'avais jamais vue aussi triste. Lentement, je me rapprochai d'elle, qui ne releva pas la

tête à mon approche, silencieuse. Après avoir rencontré cette jeune fille, je m'étais demandée si le

bonheur pouvait s'imposer à quelqu'un, comme une évidence. Comme une obligation. Et qu'ainsi la

tristesse serait révolue, même aux dépens de cette personne. Un prénom inspirant le bonheur

l'insufflait-il à son propriétaire ? Mais tout ce que je voyais face à moi, c'était une gamine au bord

des larmes.



Je m'arrêtai près de mon amante, qui ne réagissait toujours pas, et fouilla dans la poche de mon

pantalon. J'avais du mal à trouver ce que je cherchais, il y avait beaucoup de papiers de bonbons

dans mes poches, et Lola se redressa enfin, curieuse de savoir pourquoi je me dandinais ainsi. Enfin,

je tendis un petit objet à la jeune fille. Une clé, tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Elle me lança un

regard interrogatif : « C'est la clé de chez moi. Ça t'évitera de passer par je-ne-sais où pour rentrer.

Je te la donne. »



Je voyais bien à quel point elle était émue en prenant la clé de sa main tremblante.

Timidement, elle la saisit à deux mains, et y déposa un baiser. Je l'entendis murmurer d'une voix

faible, un mantra à peine perceptible : « Merci, merci, merci, merci. »

Lola glissa la clé dans la poche arrière de son jean et plongea son regard dans le mien, la lumière y

avait repris sa place. S'adossant contre le mur, elle me défiait de son regard, une nouvelle fois. Dans

un souffle, elle m'ordonna : « Embrasse-moi. »

M’exécutant, je m'approchai tout contre ma fille chocolat, l'acculant contre le mur. Nos

souffles s'emmêlaient, nos visages s'empourpraient, à quelques centimètres l'un de l'autre. Je

m'éloignais un instant, retirant d'un doigt un cheveu qui s'était infiltré à la commissure de mes

lèvres. Lola m'observait, langoureuse. C'est moi qui me rapprochai d'elle pour l'embrasser, goûter

une nouvelle fois à son goût sucré. Son cœur battant tout contre le mien m'hypnotisait. M'enlaçant

entre deux baisers, la jeune fille me poussait en arrière, se serrait toujours plus fort contre moi,

glissait dans mon dos ses mains froides, faisant frissonner tout mon être. Un instant, j'ouvris les

yeux, entendant un bruit suspect. Je vis le père de mon amante monter les escaliers. Et, sans que je

n'ai pu repousser Lola, m'écarter de son corps, ou même récupérer les lèvres qu'elle m'avait volée, je

le distinguai se tourner vers nous, et prendre un rictus épouvanté.



Les cris, les protestations, les grondements du père. La peur pressait mon cœur, et mon seul

réflexe fut de serrer fort la main de Lola pour qu'elle se réveille. Les yeux dans le vague, elle ne

faisait rien, elle baissait la tête. La mère était vite montée à l'étage nous rejoindre. Je voyais dans le

regard de mon amante les larmes recommencer à monter, et mes mots me laissaient tomber. J'étais

impuissante face à ça, et je ne prononça pas un mot. J’entraînais la jeune fille dans les escaliers,

courbant le dos sous les insultes de ses parents. En effet, j'avais tort, et ce qu'on faisait était

sûrement mal, très mal. Mais ça lui plaisait, et à moi aussi. Nous étions heureuses, et rien d'autre

n'importait. Même si nous sommes deux femmes, même si nos origines sont différentes, même si

nous avons une dizaine d'années d'écart, je l'aime.

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Commentaires
L
j'ai peur pour la suite.
Judiary
  • Mon roman Lilanim, posté au rythme d'un chapitre par semaine, le jeudi à 20H30, avec des illustrations de ma main. Quand j'ai le temps! Nouveau adresse de www.revedemay.canalblog.com Bonne lecture à tous!
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