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Judiary
22 janvier 2015

Aoi Hana - Chapitre 1


"Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend."

Mon rêve familier - Paul Verlaine – Poème Saturniens

Lola. Un prénom pimpant, joyeux, simple. Le sourire de la jeune fille, le coin de ses
paupières qui se plissent, me revinrent en mémoire. Quelque chose de faux, en accord avec son
prénom, qui semblait cacher un aspect plus sombre. Peut-on se forcer au bonheur ? Peut-il nous
condamner ?
Perdue dans ma réflexion, j’inscrivis dans la marge de mon carnet vert le prénom de mon élève avec
les caractères que je connaissais.

ローラ

    Depuis que j'étais au lycée Marie-Curie, dans les alentours de Paris, cette élève attirait mon
attention. Je n'aurais su expliquer cette impression étrange. Chaque fois que je pensais en saisir le
sens, elle se noyait dans le brouillard, pareille à un rêve. Comme ce poème de Verlaine qui inspirait
mon cours. Chaque jour, je me surprenais à observer les manies de cette fille de dix ans ma cadette.
Lola discutait avec ses voisines quand elle ne dormait pas, même si je la voyais lever un cil quand
ce poème était récité. Lola était vulgaire dans son accoutrement, Lola était volage avec les garçons.

    Je n'ai pas une vie passionnante. Toujours la routine, se lever, se rendormir en digérant
quelques pâtes, avancer dans le programme, recommencer en septembre, se faire muter, partir loin,
dans un autre studio. Mais avec la jeune fille, chaque jour, j'avais mon lot de surprise. Qui es-tu
Lola ? Cette question me hantait. En cours, je tentais d’apercevoir ses yeux trop maquillés entre
deux de ses siestes. Ce serait mentir que de dire que je ne m'attendais pas à la suite des événements.
À vrai dire, je l'imaginais, sans cesse. Je l'espérais, la chérissais, mais n'y croyais pas plus que ça.
Voilà bien des années que j'avais cessé de me faire des illusions, que je savais pertinemment que les
passions adolescentes n'étaient pas pour moi. Vivre seule ne me convenait pas, mais je savais
désormais m'en contenter, puisque je n'avais su ouvrir mes bras à aucun homme jusqu'à maintenant.
Étrangement, Lola assistait à tous mes cours. Sa peau mate sous le soleil me faisait penser à un
breuvage sucré, du cacao moulu et délayé dans un peu de lait. Ainsi la renommais-je pour moi " la
fille chocolat ". Ma fille chocolat.

J'observais ma fille chocolat de loin, sans jamais lui avoir dit un mot. Je ne l'interrogeais pas
en classe, et elle n'avait probablement pas de réponse, vu l'application avec laquelle elle ignorait
tous ses professeurs. Nos premiers regards furent échangés autour du mois d'Octobre, un matin de
pluie. Lola semblait si passionnée par la course des gouttes sur la vitre que je fus attendrie. Je
récitais le poème de Verlaine, la faisant tourner lentement la tête vers moi, séduite comme les rats
du joueur de flûte de Hamelin. Quand ses yeux croisèrent les miens, je sus qu'une connexion était
3établie. C'est là que je vis pour la première fois le regard de défi de cette adolescente, quand elle
plissa les yeux dans ma direction et dévoila un sourire en coin. Prise dans l'élan de ce contact, mon
cœur s'emballa dans ma poitrine, tandis que mon imagination se dispersait.

De fil en aiguille, je finis par convoquer Lola une première fois. Ce n'était pas bien compliqué, et
après tout, mes collègues faisaient de même. Des réprimandes habituelles, lui demander de mieux
suivre mes cours et contrairement à ce que j'avais imaginé, la jeune fille acquiesça et jura de faire de
son mieux. Le lendemain, elle revint avec un peu plus de maquillage, des talons un peu plus hauts,
un décolleté un peu plus profond, tout cela pour dormir un peu plus longtemps. C'en était tellement
ridicule que je me surpris à rire gentiment à son arrivée, ce qui la fit doucement sourire. Elle n'était
point vexée. Ce petit jeu dura longtemps, et elle revenait toujours un peu plus vulgaire, si bien que
je me demandais jusqu'où sa provocation pouvait aller.

Au bout d'un mois ainsi, une folle idée me vint. Ou plutôt, ma fille chocolat me la souffla en rêve. À
la fin de mon cours, mon cœur battait à s'en rompre, comme celui d'une collégienne sur le point de
se confesser. J’arrêtai Lola à la sortie de la salle :
« Lola, tu viendras me voir après tes cours, je te colle une heure. »
La jeune fille ne répondit pas, mais poussa un soupir exaspéré. Le reste de la journée passa
lentement. J'étais pressée de me retrouver seule à seule avec cette élève qui nourrissait mes sombres
fantasmes. Contre toute attente, Lola se présenta au rendez-vous. J'étais presque émue quand la
porte s'ouvrit en un fracas. Les mains dans les poches, la jeune fille éteignit son MP3 et referma la
porte derrière elle avec son pied, avant de se redresser pour me regarder dans les yeux. On se
détailla du regard, ma fille chocolat n'avait pas le même regard que d'habitude, celui qui me
permettait de la reconnaître parmi tous les autres êtres de l'univers. Ces cheveux frisés coupés au
carré, cette poitrine aguichante, sa jupe moulante, aucun doute c'était bien Lola. Mais sans cette
pointe de défi, je ne la reconnaissais pas. Cette pensée me refroidit.

La jeune fille saisit une chaise pour la poser devant mon bureau, tandis que je me replongeais dans
mes copies. Elle s'assit face à moi, sortit sa trousse de son sac et commença studieusement ses
devoirs sans que je ne lui donne aucune directive.
Continuer la correction mes copies m’insupporta très vite et j'ouvris mon carnet vert.
Quelques paragraphes raturés au crayon de papier, un carnet sans prétention pour quelques
scénarios de romans inachevés. Perdue dans mes pensées, je raturais, raturais encore, effaçais et
recommençais. Les caractères dissimulés dans la marge, représentant le prénom de la jeune fille
face à moi étaient toujours là, pour me guider. Intéressée, Lola se pencha vers ma feuille et pointa
de son index les trois caractères :

« C'est du chinois ?
-Non, du japonais.
-Vous êtes japonaise ?
-Ma mère. »

Je préférai rester concentrée sur mes idées plutôt que me lancer dans un grand débat sur mes
origines avec Lola. Elle se pinça les lèvres un instant et croisa les bras, concentrée. Plongeant son
regard dans le mien, la jeune fille semblait cogiter, n'arrivant plus à tenir assise sur sa chaise. Je
faisais la même chose quand j'étais petite, balancer mes pieds sous ma chaise. Cette pensée
m'amusa. Elle frôla mon tibia du bout de ses chaussures, provoquant un frisson en moi. Enfin, après
une intense réflexion, mon élève déclara :

« On dirait pas.
-De quoi ?
-Que votre mère est japonaise. »

Ah oui, évidemment.
Mon cœur s'emballa une nouvelle fois. L'heure passa, vite, trop vite. Lola prit son sac sur
l'épaule et repartit. Un salut de main, un geste amical. Comme pour dire au revoir. Nous nous
reverrons. Une heure par semaine, tous les deux, trois jours. Ensemble.

« Le poème. Vous le connaissez par cœur ?
-Oui, à force.
-Je devrais l'apprendre moi aussi.
-Je l'aime bien.
-Pareil. »

« Vos cheveux sont naturels ?
-Oui.
-J'aime bien. »

« Vous collez beaucoup d'élève comme ça ?
-Que toi.
-Je m'en doutais. Je suis prisonnière ?
-Pars, si tu le souhaites. »

Pas de réponse.

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Commentaires
L
>____< enfinnnn!! ce fameux roman! ah! quel bonheur!<br /> <br /> je crois que je m'identifie pas mal à la prof... c'est assez terrible...<br /> <br /> <br /> <br /> cette histoire promets d'être intéressante! j'ai tellement hâte à la suite!!!<br /> <br /> <br /> <br /> Je me demande cependant si une prof se laisse aller aussi vite à ce genre de sentiment... je ne sais pas... sans doute que ça ne se décide pas!<br /> <br /> Lola ne manque pas de piquant! elle semble vraiment singulière ^^ elle me fait vraiment penser à ces filles dans les manga, qui sont provocantes et portent leur uniforme de façon non réglementaire ^^ Lola était vraiment comme ça dans ton rêve? elle te provoquait du regard? Elle t'aimait?
Judiary
  • Mon roman Lilanim, posté au rythme d'un chapitre par semaine, le jeudi à 20H30, avec des illustrations de ma main. Quand j'ai le temps! Nouveau adresse de www.revedemay.canalblog.com Bonne lecture à tous!
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