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Judiary
12 février 2014

Lugia - Chapitre 1

EPSON002

Lola s'était toujours sentie étrangement à l'étroit dans ces bâtiments. L'odeur trop pure, les murs trop blancs, les gens trop propres. L'étage de l'hôpital réservé aux examens psychologiques des jeunes recrues avait tout pour mettre mal à l'aise les jeunes campagnardes comme la jeune fille. Parfois, quelques portes claquaient dans le couloir, libérant des jeunes en pleurs, certains hurlant comme des animaux, emplis de désespoir. D'autres encore sortaient, soi-disant victorieux, la tête haute, le dos droit, le visage totalement impassible, sans nulle émotion pour venir troubler leur regard.

L'ambiance était des plus malsaine.

 L'adolescente se fit appeler par un grand homme en blanc, propre sur lui, ne lui laissant pas le temps de sombrer dans la démence.

« Lola, de Drokas. »

Après avoir aperçu la jeune fille sur son banc, il ajouta :

« Venez, je vous prie. »

Cette dernière prit une grande inspiration, profonde. Elle savait pertinemment qu'en sortant de cette pièce, rien ne serait plus jamais pareil. Prenant appui sur son dossier, Lola se leva et se dirigea vers la porte que lui ouvrait le scientifique. À pas lents, pour faire durer ce dernier instant. Sans un mot, elle pénétra dans la salle, suivie par l'homme qui ferma la porte derrière elle, après avoir jeté un dernier regard dans l'embrasure, dans un dernier adieu à son ancienne vie.

 

Lola se pressa sur la chaise posée devant le bureau verni, où le scientifique la rejoignit, prenant place en face d'elle, derrière son ordinateur. Il tapa quelques mots à son clavier, laissant à la jeune fille tout le loisir de contempler le paysage derrière la fenêtre. Rien de bien original, elle donnait sur le jardin du complexe hospitalier. Après une longue contemplation, l'adolescente soupira de remarquer qu'aucun animal ne se trouvait dans son champ de vision. La rumeur était donc bien fondée : même dans les hôpitaux et les bâtiments officiels, il n'y avait plus aucune bête, même domestique. Peut-être était-ce donc vrai : plus jamais elle ne profiterait de la caresse rassurante d'un pelage chaleureux sous sa paume.

 

L'homme face à elle la tira de sa réflexion :

« Mademoiselle, pouvez-vous essuyer vos mains s'il vous plaît ? »

Lola n'y avait pas fait attention, mais elle s'était rongée les ongles jusqu'au sang. Le liquide pourpre se répandait sur ses mains blanches, qu'elle s'empressa d'effacer avec le mouchoir en papier que lui tendait le docteur.

« Oui ! Bien sûr ! Excusez-moi, je suis désolée. »

Toutes les excuses du monde ne sauraient réparer une telle erreur. À jamais, sur son dossier sera écrit : "symptômes de stress aiguë", de la main de cet homme en blanc, pianotant de ses doigts fins sur le clavier.

Paniquée, l'adolescente dissimula ses mains dans son dos et se contenta de se mordre les lèvres.

« Alors jeune fille, quel âge avez-vous ?

-16 ans. »

Un ton sec, bref. Jusque là, rien de bien compliqué.

« Parfait. Lola c'est ça ? Bon, avez-vous dans votre entourage des hybrides ?

-Non. »

 L'homme de blanc la regardait, sceptique. L'adolescente se rendit compte qu'elle avait entrepris de se triturer les cheveux avec ses mains ensanglantés, dévoilant une nouvelle fois son stress. Ou son mensonge, puisque le scientifique recommençait à taper nerveusement sur son clavier, comme si le stress de sa patiente était contagieux.

Les hybrides. Dans un monde où la transgenèse était passée dans la réalité, où la science-fiction n'aurait pu prévoir un tel scénario. De nombreuses organisations ont voulu modifier le gênome animal et humain, créant ainsi des créatures tel que le dragon Lugia, assez destructeur pour raser un pays entier. Son domaine, son sanctuaire. Avides de pouvoirs et de richesses, les hommes purent tous se servir dans le génome animal présent partout sur la planète et l'implanter dans les hommes, créant ainsi les hybrides.

Intégrer des cellules de poissons dans un corps de femme... Ça paraissait impossible de vivre avec un tel mélange. Mère nature fait bien les choses, les hybrides ont su s'adapter. Le processus de transformation d'une forme humaine à une forme fantastique reste un mystère pour la communauté scientifique. En somme, les hybrides sont des hommes et des femmes bien banales en apparence, mais néanmoins capables de formidables capacités de transformation. Ils peuvent devenir des créatures fantastiques, ou des animaux, (merveilleux ou monstrueux, les avis divergent encore) l'espace d'un instant.

Rejetés de la société, les hybrides se cachaient, ou allaient vivre dans la nature. Jusqu'à l'invention du boîtier de détection, sonnant à l'approche d'un être vivant ne correspondant pas au schéma d'ADN classique du genre humain. Depuis quelques années, ces boîtiers sont partout. Dans les commerces, les écoles... Si un hybride était détecté, il était maîtrisé par la milice et emmené on-ne-sais-où. Ce qui est sûr, c'est qu’on ne les reverrais plus.

 

En plus des boîtiers de détection, de nombreuses mesures ont été mises en place. Les animaux avaient tout bonnement disparus du quotidien. Certaines espèces étaient mises en quarantaine, comme les abeilles, afin de produire de la nourriture ou de conserver l'équilibre de l'écosystème mais la plupart des animaux, jugés inutiles, principalement les animaux de compagnies ont été supprimés, lors de grandes battues, qui avaient beaucoup choqué à l'époque. La viande et tous les produits d'origine animale sont devenus rarissime, et excessivement chers. Il était parfois possible de voir une vache, ou un chien, lors de certaines interventions scientifiques ou des visites dans les écoles, mais dès que les premières études plus ou moins crédibles sur la dangerosité de l'animal et tous les virus qu'il pourrait transmettre ont été publiées, ces pratiques se sont raréfiées également.

En quelques années, les mentalités ont radicalement changé, et les animaux incarnaient le mal, tandis que les hybrides étaient considérés comme des créatures du diable, créés par les vils desseins de l’homme. Le culte de la terre naturelle est vite devenu religion majoritaire, symbolisée par la vénération de l'Yggdrasil, l'arbre monde. Les plantes devenues sacrées étaient devenues l'alimentation de base, bien que des rituels régulaient leur cueillette, créant une forte inflation du prix de la nourriture, qui se calma avec le temps. Les hybrides ont su se faire oublier. Mis à part quelques scandales relatés dans les médias, on en entendait plus parler.

Lola avait toujours eu un rapport particulier avec les animaux et les hybrides. Née à la campagne, dans une petite ville coupée du monde, où il n'y avait un boîtier de détection que sous le bureau du maire. Elle avait grandie entourée des moutons de l'exploitation familiale, dirigée d'une main de fer par sa mère, après la disparition de son père. Jusqu'à ce que l'état lui retire, et que l'adolescente décide de s'engager. Sa mère n'aurait jamais été en accord avec son choix, elle s'inscrit donc en secret à l'entretien de recrutement, et partit sans rien dire à personne.

En campagne, la nourriture manquait de plus en plus avec les nouvelles pratiques agricoles nécessitant des rituels précis. Sans les moutons, elles ne pourraient bientôt plus se nourrir. La paye de l'armée était conséquente, bien qu'elle soit consciente du sacrifice que ça représentait. Mais Lola était confiante sur son avenir. Plus que tout, elle voulait rencontrer le dragon Lugia en face à face. Sa curiosité l'emporta dans cette folie. Elle ne saurait pas vraiment l'expliquer. Ce dragon dont l’existence était tue depuis des années était sûrement la plus grande des menaces, cachant les plus grands secrets. Surgi de nulle part, venu semer le malheur sans raison apparente, un jour, pour se rendormir quelque part le lendemain, cet étrange dragon avait toujours suscité l'inexplicable fascination de Lola.

« Bien, d'accord. Je crois que ce sera tout mademoiselle.

-Bien. »

En venant ici, la jeune fille avait bien une crainte, celle de cacher un secret sans le vouloir. Quelques années auparavant, Lola avait surprise sa mère se baignant dans l'étang à côté de la maison, une nuit, et avait contemplé dans le secret le plus total, la lueur des écailles de poissons briller dans les rayons de lune. À cet instant, la jeune fille ne savait pas encore que sa mère était une hybride poisson, qu’elle se plaisait à appeler comme les créatures fantastiques d’un vieux livre de conte: une sirène.


Si son père avait été également un hybride, Lola aurait eu une grande chance d’être hybride également. Ce ne pouvait être le cas, mais selon le mélange d’allèles dans ses chromosomes, elle aurait pu être une hybride comme sa mère, comme son éventuel père, une humaine normale, ou même carrément un animal étrange.
Le scientifique en blouse blanche ouvrit délicatement la porte, laissant la jeune fille savourer sa petite victoire au test, partir rejoindre ses pairs, les autres jeunes filles destinées au sacrifice, ses amies, les soldats. Mais au moment de passer la porte, l’homme retint un instant la nouvelle recrue.

«Attendez, j’ai un dernier contrôle de routine à vous faire passer, rien d’important. »

Il saisit dans un tiroir un boîtier noir qu’il passa devant le torse de la jeune fille dans un mouvement circulaire. C’était la première fois que Lola en voyait un. La diode clignota deux fois, avant de soudainement délivrer un cri strident. Puis le noir. Un rictus effrayé se figea sur le visage de l’adolescente, et resta immobile quand le scientifique planta violemment une aiguille dans son bras, tout en faisant se taire la sonnerie assourdissante. D’un bras, il rattrapa l’adolescente sur le point de s’effondrer sur le sol et lut l’inscription sur l’écran du boîtier, réprimant un sourire.

 «Bien. Très bien. Nous aurons bien besoin d’un ange dans notre armée. »

Quand Lola ressortit de la salle blanche, les yeux vides, le dos droit, elle n’avait plus aucun souvenirs de sa mère, de ses amis, de la ferme, des hybrides…

De Lugia.

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Commentaires
A
wow! Mais je suis en suspens moi T^T<br /> <br /> <br /> <br /> C'est superbe, l'intrigue est très bien ficelée, c'est bien amené. <br /> <br /> C'est assez bien équilibré et ça s'enchaîne bien. Je ne m'y connais dans assez dans le genre littéraire pour pouvoir faire une critique très élaborée mais j'ai adoré!<br /> <br /> tu ferais une superbe scénariste de manga!
W
http://www.youtube.com/watch?v=MKk1u5RMTn4<br /> <br /> <br /> <br /> So posei music swaaag #YOLO2014 mlle robinson
D
Je trouve ce début très intéressant : que ce soit au niveau du style ou du décor que tu as planté et l'univers qui va avec, c'est original et bien foutu.<br /> <br /> Il est bien sûr trop tôt pour pouvoir juger les personnages vu que ce chapitre servait principalement à introduire l'univers mais s'ils sont à la hauteur, ça s'annonce très bien !<br /> <br /> L'artwork en tête de chapitre est plutôt sympa aussi, j'aime beaucoup la façon dont les cheveux tombent sur les bras et les taches de rousseur du personnage.<br /> <br /> Il y a juste deux petites fautes d'orthographe que j'ai repéré : "symptômes de stress aiguë" au lieu de "aigu" et "Elle avait grandie" au lieu de "grandi".<br /> <br /> (Btw, le design de ce blog est particulièrement classe !)
C
on en entendait plus : On N'en entendait plus. (ne - plus) <br /> <br /> <br /> <br /> Joli :) Intéressant, néanmoins, j'aurais développé plus le paragraphe de la première évocation de Lugia, ou du moins le reformuler pour qu'il soit plus logique. Certaines phrases aussi sont coupées sans avoir de fin. <br /> <br /> Bref, bien malgré ces petits soucis de syntaxe, prend bien ton temps en écrivant, pense bien chaque paragraphe et relis toi beaucoup au fur et à mesure que tu écris. :)
Judiary
  • Mon roman Lilanim, posté au rythme d'un chapitre par semaine, le jeudi à 20H30, avec des illustrations de ma main. Quand j'ai le temps! Nouveau adresse de www.revedemay.canalblog.com Bonne lecture à tous!
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